Utilisez-vous trop de plug-ins?

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J’ai récemment eu une très intéressante discussion avec l’expert en mastering Bryan Martin de Sonosphere. Pour lui, c’est clair : plus on utilise de plug-ins, plus on risque de compromettre la qualité de notre travail.

Bryan Martin a entrepris sa carrière à New York chez Platinum Island Recording Studios, en 1986. Il a eu l’occasion d’y travailler en compagnie des meilleurs ingénieurs de son et de plusieurs artistes phares de l’époque.

Après une vingtaine d’années et des centaines de projets, il quitte le tumulte new-yorkais pour s’établir à Montréal. Il y est aujourd’hui propriétaire de Sonosphere Mastering. En discutant avec lui, on comprend rapidement que le type connaît la musique (sans jeu de mots!).

Grandeurs et misères du plug-in

Rassurez-vous : loin de moi l’idée de vous dire que les plug-ins sont la pire invention que le monde de l’audio ait connue. Au contraire, ils ont démocratisé l’accès à des outils de mixage autrement hors de prix. Ce faisant, ils ont contribué à diminuer les coûts de production (pour le meilleur et pour le pire, dirons certains). De plus, ils ne nécessitent aucun branchement, ne brisent jamais, n’ont pas besoin d’entretien, ne prennent pas d’espace physique et n’accumulent ni la poussière ni les araignées! 

Les faits ne mentent pas : vos chansons favorites sont aujourd’hui mixées en partie ou en totalité « dans la boîte ». Et contrairement au hardware, le monde des plug-ins évolue à vitesse grand V en offrant tous les jours de nouvelles possibilités. Bref, n’en déplaise aux puristes de l’analogique, les plug-ins sont là pour rester.

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C’est là que ça se complique

Si on recule de quelques années seulement, il aurait été inimaginable de brancher un compresseur, deux EQ et une reverb différente sur chacune des pistes. D’ailleurs, quand on y pense trente secondes, c’eût été non seulement onéreux, mais plutôt stupide, n’est-ce pas? Pourtant, dans le monde numérique, ça se fait couramment. Mais tout ça a un prix.

Selon Bryan, ce n’est pas l’utilisation de plug-ins qui pose problème, c’est l’accumulation. La surutilisation de plug-ins peut en effet générer des anomalies dans les très hautes fréquences (18 kHz et plus). Bien que cette bouillie soit tellement haut perchée dans le spectre de fréquences qu’elle est inaudible sur la plupart des systèmes, elle réduit néanmoins la marge dynamique (le headroom) de votre mix.

Vous l’avez sûrement vous-même constaté, l’utilisation de plusieurs plug-ins oblige votre processeur à travailler plus fort. Ce faisant, l’audio peut perdre de la définition dans les passages à bas volume. Cette dégradation du signal peut aussi créer des problèmes de phase, modifier le panorama stéréo et la définition générale du son.

Au mastering, ces problèmes rendent le codage en Mp3, M4a ou AAC plus ardue. En effet, le codec tente d’interpréter l’hérésie dans les hautes fréquences comme faisant partie intégrante de la musique. Il en résulte des artéfacts aussi désagréables qu’audibles. Puisqu’aujourd’hui plus de la moitié de la musique est consommée en format numérique : c’est un problème qu’il faut prévenir à la base.

Voici quelques avenues qui vous permettront de réduire le nombre de plug-ins que vous utilisez.

Soyez exigeant lors de l’enregistrement

Il existe une manière toute simple de limiter le nombre de plug-ins dans vos mix : enregistrez mieux. Si vous travaillez avec des instruments virtuels, des loops ou des samples, sélectionnez le son le plus près de ce que vous avez en tête. En réglant vos problèmes à la source, vous diminuerez automatiquement le nombre de corrections à apporter lors du mixage. Dans le pire des cas, envisagez la possibilité de réenregistrer ou de modifier vos choix de sons.

Utilisez des sous-groupes 

Lorsque c’est possible, regroupez les pistes de mêmes types (back vocals, guitares, synthé, etc.) et traitez-les par sous-groupes plutôt qu’individuellement. Non seulement vous gagnerez du temps, mais vous limiterez la manipulation du son à un seul endroit.

Choisissez quelques plug-ins et maîtrisez-les

À l’époque, les plus grands studios n’avaient pas à leur disposition le dixième de ce que nous avons tous dans notre dossier plug-ins. Rappelez-vous que ce n’est pas tel ou tel plug-in qui garantit la qualité du résultat, c’est l’utilisateur. Choisissez un ou deux plug-ins par fonction (un compresseur, un égalisateur, une reverb, un deesser, etc.) et maîtrisez-les. Apprenez leurs forces et leurs faiblesses, faites des expériences sur divers instruments et dans divers contextes. Il vaut mieux bien connaître une petite quantité de plug-ins que d’y aller à l’aveugle à travers tout l’arsenal dont vous disposez. 

Évitez de vous perdre dans les détails 

Lorsqu’on mixe, rien n’est plus facile que de courir sans fin après sa queue. Commencez par faire une bonne balance des pistes. Corrigez ensuite les problèmes qui vous sautent aux oreilles et ajoutez les effets. Prenez une pause. Revenez plus tard, peaufinez vos ajustements et arrêtez!

N’abusez pas du bouton solo 

Vous passez une demi-journée à ajuster votre piste de guitare en solo. Une fois que vous enlevez le bouton solo, elle ne cadre plus du tout avec le reste du mixe. Vous vous dites : « pas de problème, je vais ajouter un autre EQ et le tour sera joué ». Ça vous rappelle quelque chose? Nous l’avons tous fait.

Un mixe est beaucoup plus que l’ensemble de ses parties : c’est un tout. Les corrections doivent donc se faire avec toutes les pistes ouvertes (après tout, qui écoute un hi-hat en solo?). Le bouton solo n’est vraiment utile qu’en de rares occasions (pour ajuster un gate, par exemple). En travaillant les éléments selon l’ensemble du mixe, non seulement vos mixes seront plus cohérents, mais vous sauverez un temps fou et utiliserez inévitablement moins de plug-ins.

Établissez une hiérarchie 

Dans un bon mix, tous les éléments n’ont pas la même valeur. Il n’est sûrement pas nécessaire de mettre un compresseur, deux EQ et un Aural Exciter sur le synthé d’ambiance. Attardez-vous d’abord aux éléments les plus importants pour ensuite descendre dans la liste des priorités.

Découvrez la puissance du bouton « Mute » 

Ce n’est pas parce que vous avez enregistré quelque chose ou qu’une piste vous ait livré que vous devez l’utiliser. De même, pourquoi utiliser les trois pistes de micros de la basse alors qu’une seule fait très bien le travail dans le mix? Ne soyez pas sentimental : si une piste ne sert pas la chanson, n’essayez pas de la forcer à prendre sa place dans le mix : essayez plutôt le bouton mute.

Évaluez vos corrections 

Si vous avez le plug-in facile, vous serez parfois surpris de constater que certains de vos réglages s’annulent (-4 dB à 200hz sur un EQ et deux plug-ins plus loin sur la même piste +2 dB à 210hz), que d’autres s’additionnent (+4 dB à 5khz sur le kick drum et +2 dB dans le sous-groupe de batterie) et que d’autres ne sont tout simplement plus utiles (un « widener » sur une piste désormais placée complètement à gauche). Survolez vos réglages et éliminez les doubles corrections.

Ne tentez pas de corriger des problèmes sur le master bus

Dans le même ordre d’idée, si votre mixe a trop de basses, identifiez les pistes qui posent problème et corrigez-les plutôt que d’ajouter un EQ sur votre bus de sortie. Souvent, vous réussirez à éliminer des corrections dans vos pistes individuelles qui vont à l’encontre de ce que vous essayez de faire avec l’EQ sur votre master bus.

Outre que ces quelques trucs simples vous mettront à l'abri des effets pervers de la surutilisation de plug-ins, ils vous aideront à améliorer la qualité de vos mixes et contribueront au maintien de leur intégrité une fois masterisés.

Éric Noël

Musicien, propriétaire de studio, réalisateur et formateur, Éric Noël œuvre dans le domaine de la production musicale depuis plus de 30 ans. Il est également le créateur de MusiqueProd.com et l’auteur du best seller : Comprendre le mixage.

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